Le sophisme de la justice sociale

Vraie et fausse justice sociale selon Bastiat.

Damien Theillier

5/5/2023

« Je le dis sincèrement : je crois que nous entrons dans une voie où, avec des formes fort douces, fort subtiles, fort ingénieuses, revêtues des beaux noms de solidarité et de fraternité, la spoliation va prendre des développements dont l’imagination ose à peine mesurer l’étendue. » Frédéric Bastiat

Nous sommes collectivement animés par la conviction, inculquée dès l’école primaire, que le gouvernement organise la solidarité sous forme de prestations, allocations ou subventions. On appelle cela la justice sociale. Bastiat nomme cela : fausse philantrophie, fraternité ou solidarité forcée.

Qu'est-ce qu'un sophisme ? C'est un raisonnement qui a l'apparence de la vérité mais qui est faux, tant d'un point de vue matériel (les faits) que formel (la logique). Un sophisme est une manipulation intellectuelle car dans sa structure, il ressemble à un raisonnement logique. Il faut donc apprendre à les reconnaître pour s'en défier en toute circonstance.

Le sophisme de la justice sociale provient de la catégorie des faux raisonnements qui consistent à attribuer à une cause des effets heureux qu’elle ne produit pas. En latin, il existe une formule qui décrit bien cela : Non causa pro causa. Par exemple : "j'ai bu une tisane à la bave de crapaud et mon rhume a disparu". Ou bien : j'ai fait la danse de la pluie et il s'est mis à pleuvoir. C'est un peu primitif mais c'est exactement la structure du sophisme de la justice sociale : L'Etat redistribue les richesses et ainsi il réduit les inégalités, il crée de la solidarité.

Voyons comment Bastiat réfute ce sophisme. 1° Il va d'abord montrer que l'effet véritable n'est pas celui attendu mais l'effet opposé. 2° Il va ensuite dévoiler le caractère immoral de cette fraternité légale qui consiste en la spoliation.

1° La justice sociale produit de l'injustice sociale, aggrave les inégalités et détruit la solidarité.

L'Etat ne peut pas donner généreusement de l'argent car lui-même ne produit rien. Ou plutôt il ne peut donner de l’argent qu’en prenant cet argent à quelqu’un qui l’a gagné et qui ne le donnerait pas si on lui demandait.

  • L’Etat distribue de l’argent, il fournit des services publics. C'est ce que l'on voit.

  • Il prend l’argent, il dépense cet argent, et bien il faut bien qu’il le prenne quelque part. C’est ce que l’on ne voit pas.


Une richesse distribuée est forcément prise à quelqu'un. Et une bonne partie du discours sophistique public consiste a occulter ce qu'il prend : le fardeau fiscal, qui ne repose pas tant sur les riches, comme on voudrait le faire croire, mais principalement sur la classe moyenne qui s'est appauvrie considérablement depuis les années 80.

L’État a ainsi nationalisé et collectivisé les services traditionnellement fournis par les familles et les églises, tels que l'éducation ou les soins pour les personnes âgées ou infirmes. Ce faisant, il a retiré à l'individu sa responsabilité pour la transférer à la collectivité. La déstructuration des liens sociaux et familiaux, de la solidarité intergénérationnelle et leur remplacement par les services sociaux de l'État est une des clés pour comprendre la crise de civilisation que nous connaissons aujourd’hui dans les pays développés. C'est donc une crise morale avant d’être économique. D'où le second point.

2° La redistribution forcée n’a rien à voir avec la solidarité humaine authentique.

Quand les hommes politiques promettent de l’argent et donnent des subventions, des prestations sociales, ils ne peuvent le faire qu’avec l’argent des autres. Ils ne peuvent donc être généreux qu’avec de l’argent volé, de l’argent pris à des gens qui ne voulaient pas le donner. La redistribution supprime donc la charité au profit de la coercition étatique pure, qui forme la base du fascisme.

En effet, lorsqu’un don est rendu obligatoire ce n’est plus de la charité, car la charité se définit comme un don volontaire. Quand un individu est contraint de donner, il devient la victime d’un vol. L'attitude morale du don est remplacée par la revendication « de droits à », qui sont des revendications sur le travail d’autrui. C’est le social-fascisme.

Seule la reconnaissance du droit de propriété nous offre la possibilité d'être généreux. Il faut bien posséder quelque chose pour pouvoir le donner. Je n’ai pas le droit de consommer ce qui ne m’appartient pas, ni le droit de faire payer par les autres ce que je consomme.

Ainsi, l'argent qu'on prend au citoyen qui travaille, par l'impôt, pour le distribuer aux pauvres ne fait pas de ce citoyen un homme bon. La solidarité forcée n’est pas la fraternité, c’est la loi du plus fort.

Comme le dit Frédéric Bastiat, « la véritable et équitable loi des hommes, c'est l’échange librement débattu de service contre service[1] ». Et la spoliation, ajoute-t-il, « consiste à bannir l’échange librement débattu afin de recevoir un service sans le rendre[2] ». L’impôt doit donc rémunérer un service et c’est à cette condition seulement qu’il n’est pas une forme de spoliation.

Gustave de Molinari, disciple de Bastiat, écrit dans sa préface aux Soirées de la rue Saint-Lazare : « Le résultat de mes études et de mes recherches a été que les souffrances de la société, bien loin d’avoir leur origine dans le principe de la propriété, proviennent au contraire, d’atteintes directement ou indirectement portées à ce principe ».

La vraie justice sociale, n’est donc pas celle qui veut réduire les inégalités par la spoliation, mais celle qui veut réduire le nombre des pauvres par la reconnaissance et la garantie du droit de propriété.

[1] Frédéric Bastiat, Physiologie de la Spoliation, Chapitre I de la seconde série des Sophismes Économiques.

[2] Ibid.