Bastiat la loi et le bien commun

Il est particulièrement incohérent d’alléguer que Bastiat écarterait le « bien commun ». Au contraire tout son effort dans La Loi consiste à affirmer précisément ce qu’est le bien commun.

Damien Theillier

2/20/20245 min read

Comment la loi peut-elle contribuer à vivre dans un monde plus juste pour tous ? Telle est la question du bien commun. Et la thèse de Frédéric Bastiat est simple : si la loi reste dans son rôle, c'est-à-dire si elle protège la liberté et la propriété.

« C’est sous la Loi de justice, sous le régime du droit, sous l’influence de la liberté, de la sécurité, de la stabilité, de la responsabilité, que chaque homme arrivera à toute sa valeur, à toute la dignité de son être » (La loi).

Loin d'ignorer le bien commun, Bastiat le définit négativement comme l’absence de spoliation et d’oppression et positivement comme la paix publique qui résulte du respect du droit et de la justice.

« Quels sont les peuples les plus heureux, les plus moraux, les plus paisibles ? Ceux où la loi intervient le moins dans l’activité privée ».

En revanche, la spoliation légale fondée sur des motifs philanthropiques est bien une perversion du bien commun et finalement sa destruction.

La loi doit agir négativement pour rester juste et servir le bien commun

« Quand la loi et la Force retiennent un homme dans la Justice elles ne lui imposent rien qu’une pure négation. Elles ne lui imposent que l’abstention de nuire. Elles n’attentent ni à sa Personnalité, ni à sa Liberté, ni à sa Propriété. Seulement elles sauvegardent la Personnalité, la Liberté et la Propriété d’autrui ».

Quel doit être alors le rôle des lois ? Il est faux, explique notre auteur, de dire que « le but de la Loi est de faire régner la Justice », il faudrait plutôt dire : « le but de la Loi est d’empêcher l’Injustice ». Son rôle est alors de remédier à certains maux.

Mais selon Bastiat, il faut distinguer deux sortes de maux :

1) Les maux faits à autrui par la violence, c’est-à-dire les injustices. Ceux-là doivent être combattus par la loi.

2) Les maux qui résultent d’erreurs, d’imprévoyances et de mauvais choix. Ceux-ci ne doivent pas être combattus par la loi mais corrigés par le double mécanisme naturel de la responsabilité et de la solidarité spontanée. Tout ce que la loi peut faire c’est éventuellement régulariser l’action de ce mécanisme par une sanction qui a l’avantage d’être plus immédiate et plus sûre que la sanction naturelle.

Une société libre et juste n’a pas besoin de beaucoup de lois mais simplement de quelques règles de droit qui garantissent et protègent la propriété et la responsabilité.

Ceci rejoint les propos de Benjamin Constant :

« Les fonctions du gouvernement sont purement négatives. Il doit réprimer les désordres, écarter les obstacles, empêcher en un mot que le mal n’ait lieu. On peut ensuite se fier aux individus pour trouver le bien ».1

Dans ce cadre, une frontière doit donc être tracée entre le domaine de la vie privée et celui de l’autorité publique. Et Constant résume bien cette idée dans une formule célèbre : « Que l’autorité se borne à être juste. Nous nous chargeons de notre bonheur »2.

L’État n’est pas responsable de notre bonheur. « Le Socialisme, comme la vieille politique d’où il émane, confond le Gouvernement et la Société », dit Bastiat. C’est à chacun de prendre ses responsabilités. Et le malheur ne donne aucun droit, ni aucun privilège. Le rôle positif de l’État et donc de la loi consiste tout à au plus à reconnaître et à protéger le droit de propriété de chacun, à faire appliquer les contrats et donc à faire en sorte que chacun puisse exercer sa responsabilité personnelle.

Quand la loi agit positivement elle est spoliatrice et détruit le bien commun

« Quand la Loi, — par l’intermédiaire de son agent nécessaire, la Force — impose un mode de travail, une méthode ou une matière d’enseignement, une foi ou un culte, ce n’est plus négativement, c’est positivement qu’elle agit sur les hommes ».

Concevoir la loi de façon positive c’est en faire un outil pour forcer les gens à agir d’une manière quelconque. C’est, dit Bastiat, « l’idée bizarre de faire découler de la Loi ce qui n’y est pas : le Bien, en mode positif, la Richesse, la Science, la Religion ». C’est faire de la loi un outil d’égalisation, comme nous l’avons vu plus haut : organiser la fraternité, la solidarité, l’éducation, la santé etc.

Quelles sont alors les conséquences sur le peuple d’une loi qui agit de manière positive ? Bastiat répond :

« Essayez d’imaginer une forme de travail imposée par la Force, qui ne soit une atteinte à la Liberté ; une transmission de richesse imposée par la Force, qui ne soit une atteinte à la Propriété. Si vous n’y parvenez pas, convenez donc que la Loi ne peut organiser le travail et l’industrie sans organiser l’Injustice ».

Un thème qui revient souvent dans son œuvre, et en particulier dans La Loi, c’est que la solidarité forcée par la loi n’est pas la charité.

En effet, lorsqu’un don est rendu obligatoire, ce n’est plus de la charité, car celle-ci se définit comme un don volontaire. Quand un individu est contraint de donner, il devient la victime d’un vol. L’attitude morale du don est remplacée par la revendication « de droits à », qui sont des revendications sur le travail d’autrui. La redistribution forcée n’a donc rien à voir avec la solidarité humaine authentique. Elle supprime la charité au profit de la coercition étatique pure, qui forme la base du totalitarisme.

« De fausses doctrines nourrissent les classes laborieuses d’absurdes illusions, convaincues que l’État doit donner des solutions, du pain, du travail, des crédits, de l’instruction à tous. Le gouvernement en fait la promesse solennelle ; il devra renforcer les impôts pour tenir cette promesse ; malgré cela, il ne la tiendra pas. »

Seule la reconnaissance et la protection du droit de propriété nous offre la possibilité d’être généreux. Il faut bien posséder quelque chose pour pouvoir le donner. Je n’ai pas le droit de consommer ce qui ne m’appartient pas ni le droit de faire payer par les autres ce que je consomme. Ainsi, l’argent qu’on prend au riche par l’impôt pour le distribuer aux pauvres ne fait pas de ce riche un homme bon. La solidarité forcée n’est pas la fraternité, c’est la loi du plus fort.

Le socialisme, dit-il, « n’est que spoliations légales sous les noms de Fraternité, Solidarité. Il supprime liberté et responsabilité. »

Un autre problème est que Loi et Justice tendent à se confondre dans l’esprit des masses. Ainsi, dit Bastiat, « il suffit donc que la Loi ordonne et consacre la Spoliation pour que la spoliation semble juste et sacrée à beaucoup de consciences ».

Pour conclure, il faut bien constater qu’en démocratie, comme en témoigne l’augmentation massive de la taille des Etats, les politiciens sont largement en faveur d’une conception positive de la loi.  Le motif caché de cette « fausse philanthropie » comme la nomme Bastiat, est d’élargir leur base électorale. Mais l’un des dangers les plus courants mais aussi les plus graves de cette tendance à rendre la loi positive est l’émergence et la généralisation de la spoliation légale, contraire au bien commun.

1. Benjamin Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, 1822.

2. Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819.